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Les Pharisiens et Jésus

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En Luc 13,31-33  nous lisons :
« 
Quelques pharisiens s’approchèrent et dirent à Jésus : Va-t-en, pars d’ici, car Hérode veut te faire mourir ».

La TOB, Traduction œcuménique  de la Bible, met en note à propos de ce verset : « Pharisiens favorables à Jésus », avec trois autres références: Lc 7,36 ; Lc 11,37 ; Lc 14,1.

Ici, en Luc 13,31-33, ce sont des Pharisiens qui conseillent à Jésus de quitter la région car Hérode veut le faire mourir. Ils ne sont donc pas contre lui. On peut donc observer chez les Pharisiens différentes attitudes vis-à-vis de Jésus. Il est important d’en avoir conscience pour ne pas les stigmatiser négativement en bloc.

Le cardinal Etchégaray, alors archevêque de Marseille, avait pris la défense des Pharisiens :

« Le Pharisien a mauvaise presse parmi les chrétiens, surtout en Carême. On fait son procès dans toutes les églises. Et comment ne pas être ébranlé après le réquisitoire du Christ lançant la série impressionnante de ses invectives : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! » (Surtout dans Mt 23,13). Avec l'appui d'une telle autorité, il a été facile au cours des siècles de déduire que tous les Pharisiens étaient des hypocrites[1]. C'est ainsi qu'on entretient encore l'antisémitisme ; et l'insulte morale est d'autant plus blessante pour les Juifs qu'ils se reconnaissent comme les héritiers spirituels des Pharisiens.

A vrai dire, ce sont les rédacteurs des Evangiles qui ont été sévères à l'égard des Pharisiens jusqu'à être injustes en généralisant à outrance. Il faut y voir le reflet des premiers conflits entre les communautés chrétienne et juive à une époque où le judaïsme était sous l'obédience pharisienne. Condamner en bloc les Pharisiens, c'est faire injure à d'authentiques amis de Jésus comme Nicodème (cf. Jean 3,2 ; 7.50-51 ; 19,39), comme Simon qui l'invite à table (Luc 7,36). L'apôtre Paul était lié à son identité pharisienne (Act. 23,6 ; 26,5) et à tout ce qu'il devait à sa formation pharisienne « aux pieds de Gamaliel » (Act. 22,3) qui a pris courageusement position en faveur des Apôtres (Act. 5,39). A travers la schématisation abusive des Evangiles, il suffit de reconnaître que le Christ a condamné, non pas la famille spirituelle qu'André Neher appelle le « pharisianisme », mais le pharisaïsme, c'est-à-dire le danger permanent qui menace tout esprit religieux lorsqu'il lie la quête de Dieu à ses propres performances dans l'application de la Loi.

Les vrais Pharisiens ont été aussi énergiques que le Christ pour condamner l'hypocrisie et le légalisme ; les textes talmudiques issus de leur milieu en témoignent clairement. Grâce à eux, le judaïsme s'est maintenu sans faiblir à travers deux mille ans d'exil, de persécution, de dispersion. Bien plus, le message évangélique a hérité de doctrines fondamentales qui nous viennent des Pharisiens comme la croyance en la résurrection des morts. Nous leur devons l'idée d'un peuple entier « peuple de prêtres » exigeant de chacun une vie de service dans des relations personnelles qui ont révélé peu à peu le visage de Dieu-Père. Nous leur devons le sens d'une Parole de Dieu reçue et interprétée au sein d'une tradition vivante. Nous leur devons une tendresse joyeuse pour la Loi qui, loin d'opprimer l'homme, structure son existence quotidienne (cf. Ps. 118).

J'arrête là une plaidoirie que j'ai rédigée après un long examen d'un dossier complexe. Je n'ai pas voulu tracer un portrait idéal du Pharisien, mais avant tout effacer un portrait injuste et faux : l'enjeu est important pour l'histoire et pour le temps présent. Nous qui avons un faible pour le publicain de la parabole, pourquoi ne chercherions-nous pas aussi à prier comme le Pharisien, le vrai, le Pharisien inconnu mais qui fut légion ? Je suis sûr que le Christ lui-même nous y engage ! »
Roger Etchégaray, A Temps et à Contretemps, 2 mars 1980.

 En suivant les conseils de cette « plaidoirie », nous pouvons lire, avec un «  nouveau regard », l’un ou l’autre texte des Evangiles mettant en présence Jésus et les Pharisiens ; par exemple [2] :
Luc 5,17 à 26 : « Un jour que Jésus était en train d’enseigner, il y avait dans l’assistance des Pharisiens et des docteurs de la Loi ».

Jésus commence par dire au paralysé que ses péchés sont pardonnés. « Les scribes et les Pharisiens se mirent à raisonner : ‘Quel est cet homme qui dit des blasphèmes ? Qui peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? ». Jésus alors opéra la guérison physique et le paralysé partit en portant sur son dos ce qui lui servait de lit. L’évangéliste ne relève plus de contestation de qui que ce soit, mais ajoute « La stupeur les saisit tous et ils rendaient gloire à Dieu ; remplis de crainte ils disaient : ‘Nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires’. » 

Luc 14,1-6 : Jésus est dans la maison d’un chef des Pharisiens un jour de sabbat pour y prendre un repas ; voyant un malade devant lui, il demande aux Pharisiens qui l’observaient s’il est  « permis ou non de guérir un malade un jour de shabbat ?’ Mais ils gardèrent le silence. » Ayant guéri le malade, Jésus pose aux Pharisiens une question avec des exemples pris dans leur propre manière d’appliquer la Torah dans la vie au   quotidien «lequel d’entre vous si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne le hissera pas aussitôt, en plein jour de sabbat ?’Et ils ne purent rien répondre à cela» Ce texte reflète une discussion bien pharisienne où Jésus apporte son point de vue lié à l’arrivée imminente du Royaume dont les guérisons sont des signes prophétiques.

Luc 6,2 ...10 : également à propos d’une guérison par Jésus (d’un homme à la main droite paralysée) un jour de sabbat, mais là « les scribes et les Pharisiens qui  observaient Jésus pour savoir s’il ferait une guérison un jour de sabbat afin de trouver de quoi l’accuser [...]  furent remplis de fureur » à cause de cette guérison un jour de sabbat «  et ils parlaient entre eux de ce qu’ils pourraient faire à Jésus. » Ils ne comprennent pas l’attitude de Jésus qui n’a pas attendu un autre jour que le sabbat pour guérir le paralysé, car il manifeste par cette guérison que le Royaume s’est approché, c’est l’urgence de sa venue qui change la donnée traditionnelle par rapport au sabbat : si quelqu’un était en danger de mort on pouvait le guérir, mais là il n’y avait pas danger de mort, mais la venue du Royaume.

Luc 17,20-21 : Ce sont des Pharisiens qui interrogent simplement Jésus sur le temps de la venue du Règne de Dieu. La réponse de Jésus en dit toute la proximité : « Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas ‘le voici’ ou ‘le voilà’. En effet le Règne de Dieu est parmi vous»

 

Mais, au fait, qui sont les Pharisiens ? Que peut-on dire d’eux en catéchèse ou dans une homélie ? Voici deux commentaires pour nous aider à mieux les connaître et apprécier l’action positive des « vrais » pharisiens :

« Nous trouvons une première mention des Pharisiens chez Flavius Josèphe, qui en parle en même temps que des Sadducéens et des Esséniens, dès l'époque de Jonathan Maccabée (160-143 av. J.-C.). Il semble que Pharisiens et Esséniens se soient développés à partir d'une seule et même racine, celle de la communauté des hassidim. Ceux-ci (1 M 2,42; 7,13) étaient des juifs pieux qui se réunirent au commencement du IIe siècle av. l’ère chrétienne pour lutter avec les Maccabées pour la liberté de la religion. Plus tard, les Pharisiens se séparèrent des hassidim.... Parmi les Pharisiens, il y avait quelques prêtres, mais surtout des laïcs, hommes de métier, paysans et marchands. [...] Après la destruction du Temple, il semble qu'un seul groupe ait survécu : celui des Pharisiens de l'école de Hillel. Ce sont donc eux, à partir de ce moment, qui déterminèrent le judaïsme [...] Ce groupe du judaïsme a été le seul à se confronter avec la jeune communauté chrétienne après 70. »

 Hedwig Wahle, Juifs et Chrétiens en dialogue, vivre un héritage commun, Lumen Vitae, 1997

 En quoi l’enseignement était-il important pour les Pharisiens ?

L’enseignement était leur stratégie et la pédagogie leur méthode. Leur doctrine, la Torah :

« Mot qui recouvre la Loi de Moïse et l’ensemble ouvert de ses interprétations, actualisations ou prolongements que l’on peut appeler ‘tradition’. Ces réformateurs surent élaborer un ensemble de propositions et de règles destinées à la sanctification du peuple d’Israël. [...] Comment ces gens, ces Pharisiens, disons en simplifiant, procédaient-ils ? Ils préconisaient d’abord l’interprétation des Ecritures ou Torah : autrement dit le prolongement actif de celles-ci en fonction des situations concrètes du présent. Il serait inadéquat de les présenter comme des juristes, encore moins des casuistes. Parlons à leur endroit d’interprètes éclairés de la Loi. Expliquons-nous. La Loi, la Loi de Moïse, était pour eux essentielle. D’ailleurs la société judaïque dans son ensemble, toutes tendances ou courants cumulés pensait et professait de même : c’est important à souligner. Mais pour eux la Loi devait vivre et faire vivre. Autrement dit elle-même sanctifier  à l’instar sinon à l’égal du Temple...Tout à leur insu, ils préparèrent le temps où il n’y aurait plus de Temple. »

 A. Paul, A l’écoute de la Torah, introduction au judaïsme, Cerf, 2004.

 Isabelle Denis, nds


[1] « Hypocrite» : le terme a pris en français une connotation très négative alors que la racine grecque : « upo », sous, et  « krisis », action de distinguer, d’où choisir, juger, peut être traduit simplement comme « juger  quelque chose ou quelqu’un en dessous de sa valeur réelle, ou de la réalité ».
[2]
Traduction de la TOB,  nouvelle édition de 2010.

 

 

 


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